dimanche 3 décembre 2017

Le cahier «L’Herne Michon» / L'auberge Ravoux


Pour lire le cahier de l’Herne consacré à Pierre Michon, il faut d’abord le dompter. Physiquement s’entend. C’est-à-dire qu’il faut déjà ouvrir l’ouvrage grand format, en papier et caractères particuliers, qui lui donnent son caractère si charnel. Sans avoir peur de le casser, même si cela peut arriver, comme c’est le cas pour mon exemplaire, car le dos est suffisamment encollé pour empêcher les pages de s’évader.
Ensuite il faut caresser les pages, les écarter un peu partout, en se familiarisant au passage avec les titres et auteurs des contributions. Il faut insister de la paume sur le milieu, caresser en appuyant de manière à forcer gentiment l’ouverture, car le bestiau est retors. Il est réfractaire à l’ouverture et à la lecture, et tend sans cesse à se refermer. Alors il faut se montrer plus tendre tout en restant aussi ferme en même temps. Une opération à répéter plusieurs fois par jour, s’il le faut.
C’est ainsi qu’à force de caresses, le cahier commence à dévoiler ses textes. Et là, c’est le bonheur, c'est l’écriture elle-même qui se livre. C'est là qu'on commence à saisir la méthode, unique et universelle, de Michon. On comprend pourquoi son écriture est si enivrante, si vertigineuse et si contagieuse. Pourquoi elle nous plaît tant à nous autres qui l’aimons.
Car c’est de cela qu’il s’agit. Plaire en jouant avec les mots, les phrases et le lecteur, comme un chat cruel joue avec une souris quand il la laisse filer et la rattrape. Comme un couple d’amants amoureux à mort joue à celui qui tuera l’autre, de joie... mais de souffrance aussi.
Sans son lecteur avec lequel il s’adonne à ce jeu, Michon ne serait qu’un micheton. Sa force, son art, sa haute performance, c’est qu’il joue à merveille. Il a d’ailleurs le formidable bon goût, dans tous les textes et entretiens inédits du cahier, de nous dire comment il fait. D’où viennent les pouvoirs ensorcelants de ses Vies minuscules, sa Grande Beune, son Rimbaud le fils etc...
Il s’agit là d’une consécration plus importante encore que celle de l’entrée dans La Pléiade. Le jour où «Pierrot» se glissera sous la couverture de cuir, dorée à la feuille, sera celui de l’érection d’un des plus importants mausolées de la littérature.

PS : à Didier Jacob qui lui demandait : «Qu’est ce qui rend la phrase parfaite ?», Pierre Michon a répondu :
«Son aloi. L’aloi, chez les anciens, chez Villon par exemple, c’est le bruit que fait une pièce en tombant sur le comptoir. On entend de quel alliage elle est faite. On entend si c’est une bonne pièce ou une mauvaise. Il y a un aloi pour la littérature. Je l’entends. Tout de suite. Si la phrase est écrite, elle est versée à mon compte sur l’éternité».

PS : Pourquoi le collage "La nuit étoilée à l'auberge Ravoux" ? Simple concomitance et Pierre Michon aurait parfaitement pu y séjourner si je l'avais collé un autre jour.

dimanche 16 avril 2017

Jeu de hasard 2 / Tric trac ou échecs

Tric-trac ou Chatrange
Joueurs d’échecs capturés dans le bazar de Téhéran et joueurs de Backgammon saisis à la Place des canons à Beyrouth,  ces deux photos mises en résonance m’ont toujours inspiré l’idée que dans cette différence résidait, entre autres, celle entre Perses et Arabes, même si c’est une idée fausse.
A priori, on est tenté de croire que ceux qui déplacent les pions sur un échiquier sont plus intelligents, en tout cas plus actifs, que ceux qui ne font que jeter les dés sur une table de tric-trac.
Jouer aux échecs, cela demande réflexion, concentration, prévision, anticipation, tandis qu’au tric-trac, on jette les dés, on constate le résultat et on l’applique avec les jetons sur la tawlé.
Bien sûr, les infatigables accrocs du lancé du Al Zahr (hasard), vont vociférer et expliquer que les dés ne font pas tout. Il faut aussi du savoir faire, une connaissance de la tawla (table) de jeu, sans doute de la souplesse dans le poignet, mais surtout une bonne dose d’anticipation sur le hasard même.
De leur côté, les accoutumés au jeu du chatranje et son impitoyable échec et mat (el Cheikh Mat, le cheikh est mort), vont toujours se sentir supérieurs parce qu’ils ne se contentent pas de jeter les dés au petit bonheur la chance. Ils jouent, eux, avec leur matière grise.
Ils réfléchissent, pensent, calculent de nombreux coups d’avance, élaborent plusieurs tactiques et envisagent les parades qui peuvent leur être opposées.
Bref, vous l’aurez compris, une opposition entre mûre réflexion et pulsion hasardeuse. Il y a sans doute une part de vrai dans tout ça, mais une part de faux aussi. Parce que dans les deux jeux, il y a une dimension psychique, voire métapsychique, qui n’apparaît pas dans ce qui précède.
La part de désinvolture, qu’on met à secouer et lancer les dés ou à déplacer les pions, est pour une grande part déterminante pour l’issue de la partie. Une règle fondamentale depuis que le jeu est jeu.

PS: Collage virtuel de circonstance 



dimanche 2 avril 2017

Jeu de hasard 1 / La fleur du mal / Mallarmé


Coller, c'est émettre un coup de dés

A SaBy.

Le seul moyen que j'ai trouvé, pour répondre à une délicieuse injonction de renouer avec mon blog, a été de me raccrocher à la plus délirante et la plus affligeante campagne électorale qu'il m'ait été donné de voir à ce jour. Celle de la bataille présidentielle de 2017.

Quelque soit l'évolution erratique de la chose, sondages, casseroles ou parjures, ou encore chaos, guerre civile ou assassinat politique, ces choses immondes et dégradantes évoquées (ou invoquées, je ne sais) par certains candidats dans leur folle soif de pouvoir, on peut dire une seule chose de manière à peu près certaine: les dés sont jetés.

Ils sont lancés et roulent inexorablement, nous aspirant dans leur sillage vers un résultat très aléatoire, celui de la part du hasard. Adepte de Mallarmé et de Deleuze, je reprends à mon compte l'idée que "penser, c'est émettre un coup de dés", en y ajoutant celle du vieil adage, tant de fois vérifié, selon lequel "le hasard fait bien les choses". 

Bien, pour la seule raison qu'une fois les dés lancés, la main de l'homme n'y peut plus rien. Elle n'a plus prise sur la suite des événements, car c'est justement la part du hasard qui prend le relais. Ce sont les dés (Az Zahr) eux-mêmes, de la manière dont ils se disposent en retombant, qui décident de l'avenir.

Et quand bien même auraient-ils été lancés depuis Bagdad ou Beyrouth, depuis Damas ou Téhéran, c'est à dire "du fond du naufrage" ou du grand trou noir planétaire, ils n'aboliront jamais le hasard, cette part qui leur est inhérente.  

Aussi vrai que coller, c'est aussi émettre un coup de dés, et que c'est cela qui a permis l'éclosion de cette fleur du mal.

                                                                                                                   (A suivre)